Au cours de notre apprentissage, nous recevons en moyenne 8 remarques négatives pour 2 remarques positives (Source : David Lefrançois). Cela est d’autant plus dommageable que les neurosciences nous enseignent que nous renforçons ce sur quoi nous nous focalisons.
À titre personnel, dans ma pratique de l’enseignement de la musique, j’ai pris conscience que je passais beaucoup de temps à souligner les erreurs de mes élèves (dans le but de les aider à progresser) et beaucoup moins à mettre en valeur les points positifs. Étant plutôt de caractère optimiste et enthousiaste, cette prise de conscience ne s’est pas faite sans douleur et elle s’est suivie d’une période de désarroi, ne sachant pas vraiment comment changer de pratique.
Dans mes interrogations, j’ai eu l’opportunité de rencontrer de nombreux enseignants, psychologues, pédagogues… Chacun d’entre eux m’a apporté de nombreuses ressources pour évoluer vers une pratique tournée davantage vers la pédagogie positive. Parmi les outils que j’ai découverts figure une méthode qui ne ressemble en rien à ce que j’ai connu en tant qu’élève : le TAGTeach.
Mais ce n’est pas la nouveauté qui m’a attirée dans cette pratique. En effet, le TAGTeach peut être un outil formidable pour communiquer d’une autre façon avec ses élèves (ou ses enfants), en les responsabilisant d’avantage et en renforçant leur confiance et la complicité entre élève et professeur/parent/éducateur.
Vous verrez dans cet article que je ne l’applique pour autant pas systématiquement et que j’émets à ce jour quelques réserves quant à certains de ses aspects.
Pour débuter mon exploration, j’ai suivi la formation gratuite en ligne de tagteachenfrancais.com que je vous encourage à suivre aussi si ce sujet vous intéresse. J’ai alors commencé à expérimenter cette méthode avec mes enfants ainsi que mes élèves.
Pour compléter ma démarche, et dans le cadre de la formation en ligne « Mon enfant apprend la musique, je l’accompagne », j’ai ensuite interviewé Patrice Robert, spécialiste francophone du TAGTeach, avant de filmer et présenter, dans une seconde vidéo, une séquence de TAGTeach avec une de mes élèves flûtistes, afin de donner aux parents de la formation une idée plus concrète du déroulement d’une séance utilisant le TAGTeach.
Cette semaine, je me suis donc livrée à un exercice très difficile pour moi : réduire deux longues vidéos en une seule de 14 minutes, afin d’offrir à mes lecteurs un aperçu de cette méthode et de ces possibilités.
Bref historique
Cette méthode d’apprentissage nous vient de Theresa McKeon et Joan Orr, deux américaines qui, en 2002, afin de faciliter l’entraînement des gymnastes, utilisent avec celles-ci les principes du clicker training. Le TAGTeach s’est depuis répandu à tous les domaines d’apprentissage (que ce soit apprendre une langue, apprendre à faire ses lacets, à classer des documents, à écrire…) grâce à des formateurs comme Patrice Robert que vous entendrez dans la vidéo ci-dessous.
Il était logique que le TAGTeach s’étende également à l’apprentissage musical. Depuis quelques années, on croise donc quelques professeurs de musique (notamment au Canada, mais aussi en France, comme par exemple Dorothée Hurel, professeur de piano et en cours de validation pour être formatrice en TAGTeach) qui l’utilisent en cours et partagent leurs expériences avec enthousiasme. Le TAGTeach intéresse donc de plus en plus de musiciens, pédagogues, parents… Voici un autre exemple, celui de du musicien Noa Kageyama qui consacre un article au TAGTeach (en voici la traduction automatique par google si vous n’êtes pas un·e fan d’anglais). Je suis mille fois d’accord avec son propos (il donne notamment l’exemple d’une étude scientifique prouvant l’efficacité du TAGTeach), sauf sur le fait que dire « bien » à l’apprenant produirait la même chose que le son du cliqueur. Or la réaction n’est pas aussi forte au niveau du cerveau quand on valide avec le mot « bien » par rapport à une validation avec le son du cliqueur.
Il est à noter que cette méthode est également particulièrement pratiquée dans l’éducation de publics à besoins spécifiques comme les autistes ou les personnes porteuses de handicaps psychiques.
Une recherche de vidéos en anglais vous donnera une idée de ses multiples utilisations dans des domaines extrêmement variés.
Le cliqueur (ou clicker ou encore « guide acoustique »)
Le cliqueur est un objet composé d’une lamelle en métal qui clique lorsqu’on presse celle-ci. Le son « clic » émis par le cliqueur est appelé « tag ». Ce son sert à indiquer ses réussites à l’élève (nous y reviendrons).
Pourquoi le son d’un cliqueur ? Pourquoi ne pas dire « c’est bien », ou « oui », ou tout autre formule encourageante ? Justement parce que le son du cliqueur est neutre, tandis que les mots évoquent des émotions. Le cliqueur n’engendre qu’une réaction d’une partie du cerveau, l’amygdale, sans émotions associées. Certains professeurs ou parents reproduisent ce son avec le clic d’un stylo ou un claquement de langue, mais il s’agit de sons moins percussifs et qui ne déclenchent pas aussi efficacement les mécanismes attendus. D’autre part, le son du cliqueur s’entend deux fois : une fois en appuyant et une seconde fois lorsqu’on relâche la languette de métal.
Où trouver un guide acoustique (cliqueur) ?
Pour ma part, je n’en ai pas trouvé dans les commerces près de chez moi, j’ai donc acheté ce modèle en ligne. J’imagine qu’il est possible de s’en procurer en animalerie.
Quelques principes de base
Le principe le plus important à retenir du TAGTeach, c’est qu’il s’agit d’une méthode de renforcement positif. Dans une séquence de TAGTeach, le tag indique à l’élève qu’il a réussi à faire ce qui lui est demandé. Quand le professeur ne clique pas, cela signifie qu’il faut changer quelque chose et c’est à l’élève de trouver quoi et comment, ce qui lui permet de prendre toute son autonomie. C’est une démarche beaucoup plus active que si le professeur arrête son élève en disant par exemple : « non, pas comme ça, il faut changer ton doigt de position ». Quand quelque chose n’est pas réussi, il ne se passe rien et c’est à l’élève de modifier son jeu. Cela permet de rappeler que l’erreur est une information qui permet de progresser.
Le TAGTeach évite à la fois de souligner les erreurs mais aussi de verser dans les compliments appuyés dès que quelque chose est réussi. En ce qui me concerne, j’y ai trouvé une communication très rapide et très efficace, mais aussi très satisfaisante à la fois pour l’élève et pour le professeur. Il est en effet beaucoup plus sympathique et positif en tant que professeur, de passer son temps à souligner des succès et d’ignorer les erreurs. De manière plus anecdotique, il y a quelque chose de très reposant pour le professeur de ne plus se sentir obligé de commenter chaque passage joué par l’élève. À titre personnel, je sais que je parle trop pendant mes cours. Durant les séquences de TAGTeach (pendant la partie « point tag »), je ne parle plus et cela fait du bien à tout le monde ! Mais surtout, le travail est plus efficace car l’élève et moi sommes tous les deux extrêmement concentrés sur une seule chose, sur un seul but.
On sait par ailleurs que la séquence va se dérouler sur un temps assez court et limité (1 à 3 minutes) et qu’entre deux séquences, on va pouvoir faire une petite pause, relâcher notre attention. Tandis que quand on travaille sur une difficulté dans un cours plus classique, on ne sait pas combien de temps ça peut durer et cela peut favoriser une certaine forme d’angoisse. Dans ces phases de concentration intense, les informations sont absorbées et elles continuent à s’intégrer durant les phases de repos et de détente.
L’élève (ou votre enfant) sait aussi qu’il n’y a pas de réponse sociale attendue, il n’est pas à l’affût de félicitations à chaque réussite. Le tag devient une récompense à lui seul. Il peut y avoir des félicitations, mais seulement à la fin de chaque point tag. Et ces félicitations vont porter sur la réussite de la séquence, pas sur l’élève ou sur ses qualités. On dira par exemple « tu t’es vraiment concentré pour y arriver, tu as fait des progrès par rapport à la dernière fois sur tel ou tel aspect » plutôt que « tu es vraiment bon en rythme ».
Ce qui m’a également particulièrement intéressé dans cette méthode, c’est qu’elle suppose d’indiquer très précisément à l’élève ce qu’on veut qu’il fasse et de fractionner l’enseignement en petites étapes faciles à réaliser.
Concrètement, ça se passe comment ?
Voici une vidéo composée de plusieurs extraits de la formation « Mon enfant apprend la musique, je l’accompagne », dans le cours consacré au TAGTeach. J’insiste sur le fait que j’ai dû faire l’impasse sur quelques points au montage, la vidéo peut donc paraître incomplète, mais je la publie avant tout pour vous donner envie d’aller plus loin dans cette démarche, éventuellement en vous tournant vers tagteachenfrancais comme je l’écrivais plus haut.
En résumé, une séance de TAGTeach est composée de 3 phases qui forment l’entonnoir d’attention :
Comme vous avez pu le voir dans la vidéo, la formulation des consignes est très importante en TAGTeach. On peut s’en souvenir aisément avec l’acronyme V.O.U.S. :
Quelques remarques au sujet de la vidéo
Internet étant un outil fabuleux, j’ai pu bénéficier des précieux conseils de collègues suite à la diffusion de cette vidéo. Voici donc quelques éléments qui permettraient d’améliorer la pratique du TAGTeach par rapport à ce que j’ai proposé dans cette vidéo :
- Il aurait été préférable que je débute la partie « leçon » par quelque chose que j’aimerais voir advenir plutôt qu’avec ce que fait l’élève et qui ne me convient pas.
- J’aurais pu finir la séquence de travail soit en ignorant les points à améliorer à l’avenir, soit en montrant le geste que je veux voir advenir pour éviter de montrer le défaut que j’avais relevé, défaut qui va lui rester en mémoire alors que ce que je cherche, c’est qu’Eloïse se souvienne de ce que je veux lui proposer de faire.
- Par ailleurs, je fais mon mea culpa aux flûtistes. En effet, l’intérêt flutistique de cette vidéo est assez limité. Destinée en premier lieu à des parents dont certains ne pratiquent pas la musique, cette vidéo a pour but au départ de porter sur un aspect accessible à un non-musicien, à savoir la posture d’une jeune élève. Il est assez facile, pour un parent non-musicien, d’aider son enfant à rectifier sa posture à l’aide du TAGTeach en lui demandant de lever son instrument plus haut qu’une main servant de repère dans l’espace. Mais il me semble à présent que cet exemple était assez mal choisi dans la mesure où la posture est un domaine bien plus complexe que le simple fait de tenir son instrument suffisamment haut (on peut en effet tenir sa flûte assez haut sans pour autant avoir une bonne posture).
Si vous avez d’autres remarques, elles sont les bienvenues, je les ajouterai volontiers si elles me semblent pertinentes et intéressante pour d’autres lecteurs.
La question des récompenses
Un des principes du TAGTeach, c’est le renforcement. Celui-ci peut être externe (une récompense), ou bien interne, c’est-à-dire le fait d’être vraiment satisfait d’avoir réussi quelque chose. Le fait de marquer le succès va renforcer de plus en plus le succès, c’est pourquoi le son du cliqueur est en lui-même déjà un renforçateur. Mais dans certaines situations, par exemple si l’enfant est très jeune ou peu motivé, ou que la tâche est très difficile, les éducateurs pratiquant le TAGTeach peuvent proposer un renforçateur externe, comme une petite récompense (un petit jouet, une perle, une bille, le droit de faire une activité qui plaît à l’enfant).
À titre tout à fait personnel, je n’adhère pas au système de récompenses externes. Je préfère valoriser les progrès de l’élève plutôt que de lui offrir quelque chose, sachant que les récompenses extrinsèques sont provisoires : qu’adviendra-t-il d’un élève habitué à recevoir quelque chose à chaque réussite, lorsqu’il n’aura plus ce système de récompense pour le motiver ? Le risque de dépendance à la récompense externe et d’émoussement du plaisir d’être récompensé par un objet extérieur me font préférer une valorisation joyeuse des progrès de l’élève par mon enthousiasme et un accompagnement bienveillant.
De ce point de vue, je me sens plus proche de l’approche de pédagogues tels que Faber et Mazlich ou encore Maria Montessori, qui considérait la récompense comme « l’esclavage de l’esprit » et préférait penser que « toutes les victoires et tout le progrès humain reposent sur la force intérieure » et non sur l’attente d’une récompense extérieure. « L’apprentissage lui-même devrait être la récompense » disait également Marshall Rosenberg, pionnier de la Communication Non-Violente.
Et la musicalité dans tout ça ?
Il y a une autre question que je me posais au sujet du tag teach, à savoir : peut-on travailler sur la musicalité, l’imagination, la créativité ? Est-ce que cette méthode ne s’applique qu’à des aspects techniques ?
J’ai posé cette question à d’autres enseignant·e·s et l’une d’entre elle m’a fait une réponse très intéressante que je partage ici. Je la cite :
Par essence, musicalité, imagination et créativité n’ont pas à être évaluées, jugées, estimées… mais juste à être ressenties, goûtées, perçues… Mais notre société de l’évaluation et du jugement permanent aime que tout puisse être quantifiable. Certes, si tous les aspects techniques d’un morceau musical sont validés, il est courant de penser que l’apprenant pourra réaliser des aspects plus subjectifs plus facilement… Mais, à mon sens, les choses sont à la fois plus simples et plus complexes que cela. Il m’arrive régulièrement de valider des aspects expressifs (crescendo, ralenti, etc..) en fonction du fait que je les perçois… ou pas ! Si je les discerne de manière nette, alors je valide, si je ne les discerne pas de manière aisément perceptible, alors je ne fais rien. Mais je précise toujours qu’il ne s’agît que d’impressions personnelles et subjectives. Mais c’est la relation à l’autre qui est largement modifiée dans la philosophie positive du TT et par l’usage du cliqueur. C’est la confiance mutuelle qui est générée qui crée du plaisir et ainsi favorise la transmission et l’apprentissage… Je crois que nous, les musiciens, avons beaucoup de choses à découvrir avec le TT et si nous pouvons, ici par exemple, chercher à partager le fruit de nos expériences novatrices, alors, nous pourrons apprendre et transmettre plus d’amour et donc plus de « réussite » à notre entourage… En tous les cas, telles sont mes croyances dans ce domaine !
Je rends à César ce qui est à César, ces mots sont de Dorothée Hurel, qui enseigne le piano et partage largement ses connaissances et son expérience notamment dans des groupes de discussion de professeurs. J’en profite donc pour la remercier ici.
Les méthodes pédagogiques innovantes vous intéressent ?
Si vous êtes parent d’un jeune musicien en herbe, je vous invite à prendre connaissance de la formation en ligne « Mon enfant apprend la musique, je l’accompagne », composée de différents modules abordant tous les aspects de l’accompagnement d’un enfant dans son parcours musical, quel que soit son instrument, et que vous ayez vous-même fait de la musique ou non.
Recherches utilisées pour trouver cet article :Musuque de classe 1PEDAGOGIEPassionnée de pédagogie musicale, je partage avec vous dans ce blog mes connaissances et expériences acquises au cours de mes activités de professeur de flûte, directrice d’école de musique, musicothérapeute et maman de deux loustics musiciens.
Dorothée HUREL
Bravo Céline pour cet article clair et enthousiasmant ! Quel beau travail !
Bravo pour ta vidéo vivante et explicite…!
Et merci pour la gratitude que tu manifestes pour les personnes qui accompagnent ton chemin…
A propos des récompenses comme renforçateur, j’ai aimé ta proposition que chacun puisse expérimenter pour en tirer des observations enrichissantes…
Dans ma pratique, l’usage des récompenses est un point d’appui irremplaçable pour motiver une personne à faire quelque chose qui ne la motive pas du tout !
Avec le Tag Teach, les récompenses sont d’autant plus valides et valables qu’elles ne sont jamais associées à la moindre punition.
Et le « clic » du cliqueur est une forme de récompense qui permet de récompenser beaucoup, souvent, facilement…
Le système de « punition-récompense » est tragique !
Le système récompense-encouragements est profondément bénéfique !
Nous aimons tous recevoir un salaire pour notre travail (récompense) et nous pouvons beaucoup apprécier les compliments qui peuvent venir des employeurs ou des personnes avec qui nous travaillons (encouragements).
C’est l’essence de la pédagogie positive, de l’éducation positive, de tout ce qui favorise les relations positives…
Encore bravo pour la qualité de tes travaux et pour ton engagement pour diffuser les pratiques les plus bénéfiques pour tous !
Céline Dulac
Merci Dorothée, ça me paraît tout naturel !
Sophie Robitaille
Bonjour!
Est-ce que je comprends bien que la méthode du Tag Teach est une forme de « soutien aux comportements positifs » que l’on retrouve en enseignement collectif?
Cependant, dans le « SCP » (Soutien aux comportements positifs), les élèves sont récompensés autant avec des renforcements « tangibles » (autocollants, billes, pompons, etc) que des renforcements « intangibles » (des mots encourageants, des félicitations, etc). Les élèves ne savent pas quand les renforcements tangibles seront utilisés. Il y a donc place au développement de la motivation intrinsèque avec le temps et la maturation de l’enfant.
Céline Dulac
Oui, tout à fait !
PARISEL Monique
Bonjour, j’ai vu le TagTeach clicker chez une amie pianiste. J’ai une question : le module 3, révision du solfège, est-il adaptable à l’adulte que je suis, qui veut réviser certaines clés, et apprendre d’autres pour l’instrument violoncelle qui est en clé de Fa, Ut4 et Sol. Merci à vous, cordialement.
Céline Dulac
Bonsoir Monique,
Merci de votre intérêt. Le module 3 vous permet de comprendre comment fonctionne le solfège dans son ensemble (la portée, les clefs, lire les notes, les différentes mesures, la tonalité, les gammes, les modes, les rythmes, la transposition…)
Les infos sont ici : https://la-musique-et-vous.com/formation/wp-formation/produit/module-3-integrer-ou-revoir-les-bases-du-solfege/
À bientôt