Le cortège s’est soudainement arrêté. Devant nous, des enfants, des ados et quelques enfants plus grands – qui ne ressemblent plus tout à fait à des adultes en ce jour de carnaval – suivent le mouvement de la foule dans une euphorie générale. C’est le son qui me parvient en premier.
– ré fa la la la – ré fa la la –
Un murmure de liesse semble venir de la première fournée de spidermans et de princesses qui ouvre la marche.
– ré ré ré ré fa mi ré mi –
Je comprends soudain d’où vient ce charivari : un monstre d’envergure imposante, grand comme un minibus vient de surgir au détour de la rue. Les enfants (petits et grands) sont époustouflés !
– ré fa la la la – ré fa la la –
Je vois maintenant le monstre de tissus à l’armature de bois dans son entier. Il gambade sur pas moins de 18 jambes et poursuit un petit bonhomme vêtu de rouge et de blanc qui sautille en faisant danser une couronne de cymbalettes.
– ré ré fa fa mi fa mi ré –
Le cortège redouble de liesse en voyant ce spectacle inattendu, ici en plein centre ville de Montpellier !
– ré fa la la la la la –
L’équidé semble pris de folie, son cou s’agrandit et se rétrécit au rythme des tambourins avant de poursuivre sa danse folle dans les rues du Clapas.
– fa ré fa la la la fa mi ré – …
Pour quelqu’un qui n’avait jamais vu d’animal totémique de sa vie, le spectacle du Poulain de Pézenas est tout bonnement stupéfiant. Pesant près de 360 kilos, précédé de « Pampille » qui danse avec un tambourin, et chevauché par Estiénon et Estiéneta, il est accompagné d’une farandole entonnée par les fifres et soutenue par les tambours.
Un patrimoine vivant
Le folklore du Languedoc est ainsi riche de centaines d’autres traditions de ce genre, qui ponctuent différents moments de l’année. Elles ont pour point commun d’être toujours accompagnées de musiques, chansons, farandoles… qui constituent un répertoire transmis de génération en génération de manière principalement orale.
À Cournonterral, comme ailleurs dans l’Hérault, le Chevalet continue de faire vivre ce répertoire en le transmettant aux jeunes générations, animant les fêtes et notamment le Carnaval. C’est au son des fifres, tambours et hautbois languedociens que des élèves du conservatoire de Montpellier 3M ont pu découvrir ce patrimoine vivant lors d’une journée de rencontre, dont voici quelques images, et surtout quelques sons ! J’y ai ajouté quelques souvenirs de ce fameux carnaval montpelliérain lors duquel j’ai découvert le Poulain de Pézenas.
Le trad, ça vous parle ?
Damien Fadat nous propose une définition des musiques traditionnelles :
« Les musiques trad, c’est des musiques qui sont liées encore à des répertoires qui sont pratiqués encore, qui sont vivants. Par exemple si on parle de la musique traditionnelle qui est pratiquée dans le Languedoc, avec les fifres, les hautbois, les percussions, ce sont des musiques qui sont jouées encore dans les villages pour des occasions, pour des carnavals, des fêtes de villages, à des moments bien précis, qui viennent un peu régler l’année, pour faire la fête aussi ! Donc ce sont des musiques, qui ont pour particularité d’être des musiques traditionnelles populaires. C’est plusieurs choses : c’est déjà, je pense, d’être reliées à la vie des gens, à leur vie réelle, à des moments importants pour eux. »
Enthousiasmée par le dynamisme des joueurs et joueuses de fifre, je leur demande si l’un d’entre eux/elles souhaiterait m’expliquer ce que leur apporte cette pratique musicale. C’est Léa qui choisit de répondre à mes questions :
« Moi, ce qui m’a plu dans la musique traditionnelle, c’est qu’on peut la porter partout. On joue, on fait les carnavals, on fait plein de choses qui m’intéressent. Moi j’aime le carnaval personnellement. J’aime me déguiser, jouer de la musique et faire le carnaval. J’ai toujours voulu jouer, faire partie de cette culture, faire de l’Occitan, le parler, le chanter… Alors je fais plein de choses comme ça : je chante l’Occitan, je parle Occitan, un peu, et je joue des morceaux traditionnels à Cournon[terral]. C’est surtout les carnavals qui me plaisent : c’est un truc à faire et à voir ! Jouer dans la rue, c’est pas comme quand on donne un concert. Ça dégage une énergie qu’il faut voir, et être dedans. C’est une institution. »
Un mode de transmission séculaire
Si vous souhaitez débuter, reprendre la musique ou changer de style, vous êtes peut-être attirés par les musiques traditionnelles de tradition orale. Se pose alors la question du mode de transmission. En effet, musique de tradition orale ne veut pas dire qu’il n’y a pas de partitions. C’est plutôt le mode de transmission le plus utilisé qui caractérise ces musiques, comme nous l’explique Damien Fadat :
« Des fois elles sont écrites, mais la plupart du temps, on fait appel à un travail de mémorisation et de transmission de ces musiques-là, qui se passe de manière totalement orale. On a beaucoup de musiciens qui ne savent pas lire de partition, d’autres qui jouent, qui savent lire des partitions.
C’est une musique qui est aussi liée à cette tradition orale. »
Instruments traditionnels… ou pas
Damien tient à nous présenter le fifre : « C’est un instrument qui est très simple : c’est une petite flûte traversière sur laquelle on peut jouer absolument toutes les musiques du monde, que ce soit les musiques du Languedoc, les musiques provençales, les musiques du bassin méditerranéen, mais aussi toutes les musiques modales, orientales… En fait tout dépend de la technique de doigtés qu’on utilise : on peut jouer comme sur une flûte traversière occidentale, mais on peut aussi jouer avec les phalanges comme sur un instrument indien ou oriental et on ouvre pas mal de possibilités au niveau du son. »
Dans le film, vous aurez également entendu les hautbois languedociens. Cet instrument accompagne de longue date les festivités de la région et au-delà. Ainsi, « jusqu’à la veille de la Révolution, les joueurs de hautbois animent encore les cérémonies consulaires de cette ville, et surtout toutes les réjouissances populaires sur un vaste espace littoral s’étendant d’Agde aux environs de Nîmes et, au nord, jusqu’à la vallée de l’Hérault et le piémont cévenol »1. Il s’exporte ensuite dans les région voisines, disparaît presque complètement dans les années 1970 avant de connaître un renouveau plus récemment. Il est à présent incontournable dans de nombreuses fêtes locales du Languedoc (carnavals, joutes languedociennes…).
Mais rien n’empêche de jouer les musiques traditionnelles sur des instruments moderne, comme l’ont fait les élèves du conservatoire de Montpellier lors de cette journée de rencontre, ou comme le faisaient également certains musiciens jouant dans la slow session de musique irlandaise que je vous relatais dans un précédent article.
Un petit cadeau
Ne serait-ce que pour vous remercier d’être arrivé au bout de cet article, je vous offre la partition de la fameuse farandole de la partition du Poulain de Pézenas. Amusiquez-vous bien !
Cliquez ici pour télécharger la partition
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1 Pierre LAURENCE, « Bufa l’autbòi ! », in Autbòi, le bel inconnu, Le Chevalet de Cournonterral et ses hautbois, 2015, page 4.
Passionnée de pédagogie musicale, je partage avec vous dans ce blog mes connaissances et expériences acquises au cours de mes activités de professeur de flûte, directrice d’école de musique, musicothérapeute et maman de deux loustics musiciens.
guilhaumon
Je suis sûre d’une chose c’est que il y n’y pas de hasard dans une rencontre.Quand elle arrive c’est que notre destin en est ainsi à nous d’en saisir le sens et de rendre hommage à la vie qui nous permet de réaliser l’importance de l’ouverture universelle, de l’échange et de la transmission .En ce sens j’ai croisé sur mon chemin de vie il y a quelques mois Quentin 1m85 de vie et d’enthousiasme, bientôt 17 ans un petit diable avec un visage d’ange dévoré par l’ennui ,avec lui des copains tout aussi désoeuvrés. Mais c’était sans compter sur la magie de la musique spectateur de nos activité à un moment donné il s’empare du fifre,puis du hautbois d’abord pour agacer et imiter ma fille Léa.
Linattendu c’est qu’en quelques semaines contaminé lui aussi, voilà que nous découvrons de ce garçon qu’il est spécialement doué.
Quand à lui la découverte de la musique l’éloigne de l’ennui et un sourire dessiné sur son visage l’llumine tant il est heureux de se découvrir une passion.
Dans quelques temps nous inviterons ses parents il a un message pour eux ne me regarde plus maman mais écoute moi ferme les yeux et écoute par le son de mon instrument combien à présent je suis serein ,j’ai trouvé un sens à ma vie .
Je ne brode pas une histoire ,il y a cinq ans à 55 ans le hasard ma poussé dans cette association et j’ai un deuxième souffle d’énergie ,c’est en ce sens que je vous confie ce passage de la vie commune mais magique.
La pratique de la musique est une belle aventure.
Nadege Latorre Eps Guilhaumon
Céline Dulac
Merci pour ce beau témoignage très concret
Bruno
Je n’ai jamais joué dans un carnaval, mais j’ai toujours trouvé ça impressionnant. Pour moi, c’est au même niveau qu’un orchestre car toute la richesse et la complexité qu’il y a, c’est quelque chose!