Qu’est-ce que l’oreille intérieure, ou audition intérieure ?
Il s’agit de la capacité à entendre dans sa tête une musique en ayant conscience des différents paramètres de celle-ci : intervalles, timbre, rythme, etc. Certains musiciens peuvent par exemple entendre la musique intérieurement en regardant une partition, un peu comme lorsque vous lisez un livre et que vous entendez les mots dans votre tête. Cette audition intérieure peut aussi se passer de partition, par exemple dans le cas des musiques de tradition orale, ou bien lorsque vous vous rappelez d’une musique de mémoire, ou encore dans le cas d’un compositeur qui couche sur le papier ce qu’il crée d’abord dans sa tête. On cite souvent l’exemple de Beethoven, qui a composé ses dernières œuvres alors qu’il était sourd. Cependant il pouvait déjà composer sans instrument à sa disposition bien avant sa perte d’audition, comme la plupart des compositeurs. Au-delà de cet exemple très célèbre, chaque musicien a besoin de développer cette oreille intérieure et nous allons d’abord voir pourquoi.
Pourquoi c’est important ?
Une personne possédant une oreille intérieure solide est donc capable de composer sans avoir un instrument à sa disposition, de choisir une partition dans un magasin de musique sans pouvoir l’écouter réellement, de réécouter un morceau dans sa tête…
Mais une bonne oreille intérieure est surtout une qualité indispensable pour progresser à l’instrument, avoir le son que vous désirez, jouer un morceau « en place », pratiquer la musique en groupe… Posséder une bonne oreille intérieure vous permettra notamment d’entendre à l’avance les sons que vous souhaitez produire avec votre instrument et donc d’anticiper le déroulement du morceau. C’est un peu comme la conduite d’un vélo : si vous voulez éviter les accidents, il vaut mieux regarder la route devant soi que de scruter ses roues. Une personne qui n’entend pas à l’avance ce qu’elle va jouer aura tendance à s’arrêter souvent, à faire plus d’erreurs, à avoir une sonorité moins satisfaisante, à avoir une pulsation fluctuante…
Pour certains instruments, comme les cordes frottées sans frettes (violon, violoncelle…) ou encore les cuivres pour qui un même doigté correspond à plusieurs notes, l’anticipation de la hauteur son est indispensable pour pouvoir produire un son juste. Pour d’autres instruments comme le piano, la guitare, où la hauteur du son est déjà prédéfinie, cela peut être plus compliqué, dans la mesure où il reste possible de jouer une partition sans entendre à l’avance le résultat.
C’est d’ailleurs ce que je reproche à certaines méthodes d’apprentissage, basées sur une approche visuelle de la musique (ex : méthodes de piano où chaque note est d’une couleur donnée sur la partition, et on se contente d’appuyer sur les touches qui comportent la même couleur, sans avoir aucune idée du son qui va sortir) alors que le sens qu’il faut développer en premier reste tout de même l’audition ! Apprend-on à lire et à écrire avant de savoir reconnaître les mots et construire soi-même un discours ? Mais ceci pourrait faire l’objet d’un autre article…
Oreille Absolue ?
Il ne faut pas confondre l’oreille intérieure avec l’oreille absolue, qui est l’aptitude à reconnaître la hauteur d’une note sans point de référence. Par exemple, si je vous joue la note la et qu’immédiatement, sans savoir pourquoi, vous pensez « cette note est un la » ou que vous entendez le nom des notes quand vous entendez un morceau, c’est que vous avez l’oreille absolue.
Personnellement, je n’ai pas l’oreille absolue et j’en suis très heureuse. En effet, je pratique la musique ancienne sur instruments d’époque, ce qui suppose que je joue parfois à un diapason différent du la à 440-442 Hz (la hauteur de référence pour les instruments modernes). C’est donc très pratique pour moi de ne pas avoir l’oreille absolue. Je connais d’ailleurs des amis musiciens (notamment des chanteurs) pour qui le fait de jouer ou chanter à un diapason différent est une véritable torture car ils perdent complètement leurs repères.
N’ayez donc aucun complexe si vous n’avez pas l’oreille absolue : ce n’est pas d’une utilité indispensable pour bien jouer de la musique et ça peut même être un handicap si vous jouez à un autre diapason que le la à 440 Hz.
Comment développer votre oreille intérieure ?
- Chantez, chantez, chantez !!! Si vous devez retenir un conseil en fermant cette page de votre navigateur, c’est bien celui-ci ! Une pratique vocale est un prérequis presque indispensable pour pouvoir développer votre oreille, avoir une conscience physique des intervalles, sentir les mouvements d’une mélodie… Si vous n’arrivez pas à jouer un passage d’un morceau, chantez-le lorsque c’est possible, quitte à adapter la hauteur à votre voix si le passage en question est trop grave ou trop aigu pour vous. Pour les instruments polyphoniques (claviers, guitares, harpe…) vous pouvez chanter les différentes voix de votre morceau une à une (quand l’écriture musicale le permet). Si vous pratiquez un instrument uniquement rythmique, vous pouvez tout de même vocaliser votre texte musical sur des onomatopées par exemple. Bien des méthodes de rythmes, notamment dans le domaine des instruments de tradition orale, utilisent la vocalisation des rythmes.
- Exercez-vous à reconnaître les intervalles. Cela peut passer par tout un tas de jeux que je vous encourage à développer sous forme de devinettes, de chansons d’intervalles (une simple recherche sur les mots « chanson d’intervalles » dans un moteur de recherche vous permettra d’en trouver)… Personnellement, j’ai pu me décoincer sérieusement les oreilles lorsque j’étais jeune étudiante grâce à la méthode de Marie-Claude Arbaretaz, Lire la musique par la connaissance des intervalles qui, même si elle n’est pas un modèle de convivialité, présente l’avantage d’être très méthodique et progressive :
- Afin de vous exercer à toujours entendre intérieurement les notes avant de les jouer, je vous recommande de prendre un morceau que vous maîtrisez parfaitement et à le jouer de la manière suivante : regardez la première mesure et quand vous l’entendez parfaitement dans votre tête, jouez-la. Faites la même chose avec la seconde mesure, et ainsi de suite jusqu’à la fin du morceau. Lorsque cela est facile, refaites la même chose en procédant par phrases musicales.
- Faire travailler sa mémoire musicale est également une bonne piste. Vous pouvez par exemple vous y exercer en écoutant un morceau enregistré phrase par phrase. Après l’écoute d’une phrase, réécoutez-la dans votre tête, puis procédez ainsi jusqu’à la fin du morceau.
- Écoutez régulièrement des morceaux en lisant la partition en même temps (sans votre instrument). Vous pouvez commencer par écouter des enregistrement des morceaux que vous jouez déjà, puis essayer la même chose avec des morceaux que vous ne connaissez pas.
- Quand vous arrivez facilement à suivre une partition en écoutant l’enregistrement correspondant, vous pouvez commencer à lire des partitions « à la table », c’est à dire sans instrument ni enregistrement à disposition. Commencez par des partitions simples, mélodiques, faciles à chanter, et déjà connues. Prenez par exemple votre dernier morceau et chantez-le dans votre tête en lisant votre partition, pas forcément en entendant le nom des notes, mais en entendant la hauteur des sons et le rythme. Faites la même chose avec des morceaux que vous avez déjà « dans l’oreille », puis avec des morceaux de moins en moins connus dont vous pouvez trouver des partitions sur internet, comme par exemple sur http://imslp.org/.
- Improvisez beaucoup, cela vous aidera à bétonner votre oreille, par cet aller-retour permanent entre la musique que vous créer dans votre tête et le résultat concret à l’instrument. Cela renforcera également la connaissance et la maîtrise que vous avez de votre instrument. Vous trouverez quelques idées simples pour improviser dans les vidéos de mon défi avec grand loustic au piano, ou encore sur le site de mon ami Ghislain, du blog Improviser au violon.
- À présent, lancez-vous : composez des morceaux, même très courts, pour votre instrument, en faisant un aller-retour permanent entre votre écoute intérieure et le rendu sur votre instrument. Progressivement, utilisez de moins en moins l’instrument pour trouver les notes. Contrairement à une idée très répandue (héritage du 19ème siècle), il n’y a pas besoin d’être un génie pour composer. Demande-t-on à tous les êtres humains qui écrivent au quotidien d’être des génies de l’écriture ? Et si vous ne savez pas par où commencer, allez faire un tour du côté de mon pote Bruno du blog Composer simplement.
Toutes ces propositions peuvent être adaptées à chaque âge et à tous niveaux, également pour les enfants qui apprennent à jouer d’un instrument. Pour les enfants assez jeunes, notamment ceux qui ne jouent pas encore d’un instrument, d’autres jeux sont possibles :
Avec de jeunes enfants
Les enfants ont en premier lieu besoin de développer leur oreille. Aller au concert régulièrement, être attentif.ve aux bruits de tous les jours, apprendre à reconnaître les instruments dans un enregistrement, sont déjà de bonnes pistes. Concernant l’oreille intérieure plus spécifiquement, vous pouvez l’aider à la développer avec quelques jeux.
Un jeu très simple consiste à chanter une chanson en alternance, par exemple :
Adulte : « Une souris verte »
Enfant : « Qui courait dans l’herbe »
Adulte : « Je l’attrape par la queue »
Enfant : « Je la montre à ces messieurs »
etc.
Ensuite on complique en proposant que chacun chante un mot à son tour, sans que la chanson s’arrête :
Adulte : « Une
Enfant : « souris »
Adulte : « verte »
Enfant : « qui »
Adulte : « courait »
etc.
Puis on peut demander à l’enfant de rechanter uniquement sa partie et en chantant le reste dans sa tête (en chantant d’abord une phrase sur deux, puis un mot sur deux).
Ce jeu oblige l’enfant à faire fonctionner son écoute intérieure pendant qu’il ne chante pas, puisqu’il doit entendre dans sa tête les paroles manquantes.
Il existe aussi des chansons où on remplace progressivement les phrases par des gestes. L’enfant entend alors les paroles et mélodie manquantes dans sa tête. Voir par exemple les chansons de Naty-Boyer comme J’ai sorti de ma poche ou J’ai un gros nez rouge (dans leurs versions originales uniquement car les versions récentes ne proposent pas de plages de silence où l’enfant chante la partie manquante dans sa tête) extraites des Chansons à gestes vol 1 et 2.
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Passionnée de pédagogie musicale, je partage avec vous dans ce blog mes connaissances et expériences acquises au cours de mes activités de professeur de flûte, directrice d’école de musique, musicothérapeute et maman de deux loustics musiciens.
Benjamin
Bonjour Céline,
Voilà un très bel article sur l’importance de l’oreille intérieure. J’utilise également ces techniques avec mes élèves « jazzzmen » et saxophonistes. En effet l’improvisation et l’ear training sont d’excellents moyens d’y parvenir.
On pourrait également pratiquer toutes ces techniques avec la conscience du rythme la et la fameuse pulsation intérieure, autre facteur indispensable au bon développement du musicien.
Bravo pour ton travail !
Céline Dulac
Merci Benjamin ! Il faudra que j’écrive un article sur le ear training un de ces quatre…