Je me souviens de ma réaction lorsque j’ai vu une vielle à roue pour la première fois : la perplexité devant cet instrument dont je n’avais aucune idée du son qu’il pouvait produire ! Une manivelle, des cordes de chaque côté de la caisse, d’autres qui passent à l’intérieur d’un petit boîtier, des touches comme sur un clavecin miniature, un chevillier comme sur un violon, une caisse bombée comme celle du luth, une roue encastrée dans celle-ci… Pourquoi pas une antenne pour capter la TNT, tant qu’on y est !
La vielle à roue est en fait un instrument à cordes frottées, mais l’instrumentiste n’utilise pas d’archet comme avec un violon ou un violoncelle. C’est la roue qui tourne lorsqu’on active la manivelle qui fait office d’archet. Mais c’est aussi un instrument à clavier puisque l’instrumentiste appuie sur des touches pour jouer les notes de la mélodie.
Les cordes sont de trois sortes :
- Les bourdons sont des notes graves qui jouent pendant toute la durée du morceau, et qui ne changent pas de hauteur.
- Les cordes dites « sympathiques » sont totalement libres : elles ne sont pas frottées par l’archet, mais vibrent en résonance, par « sympathie ». Toutes les vielles à roues ne sont pas munies de cordes sympathiques.
- Les chanterelles sont des cordes plus aigües qui servent à jouer la mélodie. Elles sont raccourcies au moyen du clavier. Chaque touche pousse un « sautereau » (un genre de petit bec) contre la corde, qui sera donc plus ou moins longue, produisant ainsi des sons de différentes hauteurs.
Et le son ?
Du fait de la complexité de ce système de cordes de différents types, la vielle à roue possède un son très riche : on peut jouer une mélodie, tout en entendant le son des bourdons qui sont joués en continu, mais aussi la douceur des cordes sympathiques qui entourent tout cela d’un halo. Par ailleurs, l’instrumentiste peut, en donnant des « coups de poignet » avec la manivelle, faire grésiller les cordes en rythme.
Voyez par exemple cette vidéo :
Quelle est son histoire ?
L’origine de la vielle à roue remonte au Moyen-Âge. On en trouve dès le 9ème siècle. C’est alors un très gros instrument (certains font jusqu’à 1,5 mètres de long !) qu’on appelle organistrum. La plupart du temps, faut être 2 personnes pour en jouer : une qui tourne la manivelle et une qui actionne les tirettes (il n’y a pas encore de touches). C’est sans doute un des premiers instruments à avoir été admis dans les églises.
Voici une présentation assez précise de l’instrument, qui a été reconstitué d’après la sculpture de la photo ci-dessus :
Au 13ème siècle, l’instrument devient plus petit ce qui lui permet d’être joué par un seul instrumentiste. Il est alors en forme de boîte rectangulaire, comporte des touches au lieu des tirettes et on l’appelle chifonie :
Mais la chifonie a un sérieux concurrent : l’orgue, qui a plus de possibilités que celle-ci. Progressivement, les mendiants s’approprient la chifonie, ce qui a certainement donné le mot « chifonier », qui désigne un mendiant. À partir de maintenant, vous penserez à cet instrument quand vous entendrez l’expression « se disputer comme des chifoniers » ! 😉
Au fil des siècles, l’instrument se transforme et acquiert la forme plus arrondie qu’on lui connaît.
La vielle circule dans toute l’Europe et on voit encore aujourd’hui la trace de son passage, par exemple Suède, avec le nyckelharpa, qui se joue avec un archet et non avec une roue actionnée par une manivelle :
En France, au début du 18ème siècle, la vielle à roue est le dernier chic ! Un grand nombre de compositeurs écrivent pour l’instrument qui acquiert ses lettres de noblesse en faisant son entrée à la cour du Roi. Les instruments sont alors décorés avec grand soin.
À partir de la révolution et jusqu’au dernier tiers du 19ème siècle, la vielle tombe progressivement en désuétude. C’est dans le Berry qu’elle renaîtra à la fin du 19ème et surtout au cours du 20ème siècle. Avec l’essor des groupes « folks » ou « trad », elle connaît un succès croissant.
Il existe d’ailleurs des fêtes dédiées à la vielle à roue, comme par exemple dans le Morvan, où des dizaines de vielleux se réunissent pour jouer ensemble :
Comme de nombreux instruments, la vielle à roue n’échappe pas à l’électrification. Voici un exemple avec cette vidéo de vielle à roue électrique. L’instrumentiste se sert aussi des sons produits par le claquement du couvercle recouvrant les cordes :
Une devinette et un coloriage
À partir de quand, dans cette vidéo, entend-on la vielleuse donner des coups de poignets, produisant le grésillement caractéristique de la vielle à roue ? (Réponse en fin d’article)
Coloriage
Anecdote amusante
Le nombre des bourdons sur une vielle à roue peut varier suivant les instruments. Ce qui est amusant, c’est que chaque corde de bourdon a son petit nom : gros bourdon, petit bourdon, mouche et corde de chien ou trompette. Drôles de noms pour des cordes !
Réponse à la devinette
À 2’10 la vielleuse ajoute des coups de poignet dans la manivelle et à 2’38, elle ajoute sa voix. Oui, la voix est un instrument, qu’on se le dise !
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Passionnée de pédagogie musicale, je partage avec vous dans ce blog mes connaissances et expériences acquises au cours de mes activités de professeur de flûte, directrice d’école de musique, musicothérapeute et maman de deux loustics musiciens.
Bruno
Le son m’a fait penser à un mélange d’accordéon et de cornemuse! C’est spécial!
Céline Dulac
C’est la magie des anches libres 😉
LMC
Merci beaucoup pour cet article très complet et les vidéos partagées. On voit très peu de vielle en représentation lors de concert, c’est même plutôt anecdotique !
Céline Dulac
C’est vrai. Mais les joueurs de vielle sont plus actifs dans des contextes plus variés il me semble (bals trads, fêtes…) Ils ont une pratique vivante de la musique.