« Maintenant vous oubliez tout le travail que vous avez fait pendant ces derniers mois et vous vous faites plaisir, c’est tout ce qui compte ». Avais-je bien entendu ce que venait de me dire ma professeure d’instrument, elle qui était si perfectionniste, qui nous demandait tant d’efforts pour contrôler chaque paramètre de notre jeu ? Le jour de l’examen, qui plus est !
Sur le coup, je n’ai rien compris. J’étais trop affolée par la proximité de l’épreuve. Mais c’est une leçon qui est restée dans un coin de ma tête.
Aujourd’hui, c’est Delphine du blog Une vie merveilleuse qui m’invite à écrire sur le thème du lâcher-prise, dans le cadre d’un « carnaval d’articles ». Il s’agit d’un événement inter-blogueurs écrivant chacun un article autour d’un thème donné. Comme l’explique si bien Delphine, pour vous lecteurs, c’est comme faire 10 tours de manège pour le prix d’un !
Vous pourrez ainsi accéder à tous les articles écrits par les autres blogueurs dans des thématiques très variées, en cliquant sur cette page.
Alors que je débute la rédaction de mon propre article, le conseil formulé par une de mes professeures lors de cet examen est le premier souvenir qui me vient à l’esprit. Mais lâcher-prise, est-ce vraiment « oublier tout le travail réalisé » ?
Ce que le lâcher-prise n’est pas
Pas facile de définir le lâcher-prise ! Il est sans doute plus simple de commencer par éliminer ce qu’il n’est pas avant de s’aventurer vers ce qu’il pourrait être.
Ce que je n’avais pas compris lorsque cette professeure m’a demandé d’oublier tout le travail réalisé en amont, c’est qu’elle ne me demandait pas de perdre toute la maîtrise acquise avec des mois de préparation. Le lâcher-prise ne s’oppose pas au contrôle, à la technique et il ne consiste certainement pas en une posture inactive !
La Sprezzatura
Voilà un mot qui peut vous faire gagner aux mots-croisés ou briller en société lors des soirées mondaines ! Ce mot italien se traduirait, en français, par « nonchalance ».
Il s’agit en fait d’une façon de jouer qui donne une impression de facilité désinvolte. En réalité, elle est souvent la face immergée de l’iceberg : vous voyez le résultat final d’un long cheminement dans lequel le lâcher-prise peut avoir sa part. Mais ce sont parfois les mêmes artistes apparemment très à l’aise qui vous disent qu’ils ont un trac fou, alors que vous n’y avez vu que du feu.
Lâcher-prise et Sprezzatura ne sont en effet pas forcément liés : on peut être dans un état de lâcher-prise sans pour autant aller vers la Sprezzatura ou, inversement, pratiquer une nonchalance d’apparence en étant extrêmement tendu à l’intérieur.
Mais alors, pourquoi en parler dans cet article ?
Simplement, on pourrait voir cette manière de jouer comme un modèle de cercle vertueux pour aller vers un certain lâcher-prise : en travaillant sur sa présence corporelle, sur le fait d’habiter son corps (comme le ferait un comédien), même si, dans un premier temps on se concentre avant tout sur l’apparence, on peut parvenir, petit à petit, à gagner en aisance et à jouer avec d’avantage de naturel et de spontanéité. Il ne faut pas oublier qu’un concert reste un spectacle, et que ce qu’on donne à voir nous sera renvoyé par le public : un public conquis a plus de chance de nous mettre en confiance et, ainsi nous permettre progressivement un véritable lâcher-prise.
Un chemin vers soi et vers l’autre
Nous sommes tous dans le même bateau : pour lâcher-prise, il faut d’abord qu’il y ait une préparation la plus solide possible pour pouvoir ensuite s’abandonner à l’instant présent au moment d’une représentation.
Le lâcher-prise est donc d’avantage à chercher du côté de l’acceptation de l’imperfection, de la bienveillance envers soi-même et de la reconnaissance du chemin parcouru. Ce n’est pas oublier tout ce qu’on sait faire, mais relâcher la pression de la préparation et s’abandonner à l’instant présent. Et c’est là que la seconde partie du conseil de ma professeure est important : il est impératif de ne pas délaisser le plaisir de jouer. C’est le plus important car c’est ce qui sera transmis au public.
Tout ça, c’est bien joli, mais comment fait-on ?
5 idées pour lâcher-prise
- En amont, vous préparer avec une exigence maximale, MAIS en tenant compte de vos propres capacités, qui sont différentes selon les personnes et selon les périodes. Votre « mieux » n’est pas celui du voisin et il varie suivant que vous êtes en période de surmenage, que vous rentrez de vacances, etc.
- Et si vous ne vous sentez pas entièrement prêt(e), vous dire que vous avez fait de notre mieux avec les conditions du moment (fatigue, disponibilité, temps de la préparation, de répétition, conditions matérielles…),
- Accepter la nature incontrôlable des événements. Il y a toujours des imprévus dans un concert ou un spectacle. Faire avec et savoir s’adapter fait – ou du moins devrait faire – partie de l’apprentissage.
- Savoir que de l’imperfection peut naître la créativité. Certaines des plus grandes œuvres d’art sont issues « d’erreurs » (qui n’en sont donc pas, de fait…), de tâtonnements, d’improvisation au sens premier du terme. Les improvisateurs savent que, lorsqu’ils ne jouent pas la note qu’il auraient voulu jouer, ils ont la possibilité de la répéter pour l’intégrer à leur pièce et en faire quelque chose d’autre.
- Utiliser les outils dont se servent un grand nombre d’artistes pour faire retomber la pression : yoga, auto-hypnose, méthode TIPI (rien à voir avec les amérindiens !), méditation, relaxation… Chacune de ces techniques nécessiterait un article complet, mais je pense que chacun se connaît suffisamment pour commencer ou poursuivre ses recherches dans la piste qui lui paraît la plus adaptée à sa personnalité et à son mode de fonctionnement.
Et vous, quels outils, techniques, astuces utilisez-vous pour lâcher-prise ?
Écrivez-le moi en commentaire, cela profitera à tous les autres lecteurs !
Passionnée de pédagogie musicale, je partage avec vous dans ce blog mes connaissances et expériences acquises au cours de mes activités de professeur de flûte, directrice d’école de musique, musicothérapeute et maman de deux loustics musiciens.
Sandrine
Merci Céline pour ce bel article !
Je suis ravie de t’entendre parler de sprezzatura, ça fait quelques années que je n’avais pas entendu ce terme, mais je trouve sa musicalité italienne très adaptée à l’idée… et ta traduction d’impression de facilité désinvolte est tellement juste !
Dans de nombreux domaines il est nécessaire de travailler, travailler, travailler… jusqu’au jour où on se rend compte du chemin parcouru ! J’ai joué de la clarinette pendant des années, en classique, puis en musique traditionnelle. Et un jour j’ai commencé l’accordéon (j’adore cet instrument !). Le début de l’apprentissage a été idyllique, c’était tellement plus facile d’avoir un beau son qu’à mes débuts en clarinette… mais au bout de quelques mois, je me suis rendue compte que ma quinzaine d’années de clarinette me donnaient une aisance qui nécessiterait aussi du temps pour l’accordéon… et que tout ce travail accompli m’avait amenée plus loin, ailleurs, sans que je m’en rende compte sur le moment… A bientôt !
Bruno
J’approuve cet article Céline! De mon côté, j’ai de la difficulté à vraiment lâcher-prise et me concentrer sur moi. Par exemple, travailler en équipe, des fois, is je ne fais rien par moi-même, j’ai un malaise. Dans des cas extrêmes, j’ai peur que ce ne soit pas faitcomme je veux. Ça m’arrive quand un projet me tient à coeur. Mais en général, je m’adapte assez vite et tes trucs ne peubent que m’aider davantage!
IsabelleB
Bravo super article Céline,
Je suis bluffée de tant de talent.
Article très intéressant. J’ai du mal à croire que je pourrais suivre…
La nuit porte conseil. Je vais tacher de lâcher prise… sur la peur de ne pas être à la hauteur ! J’y arrive en peinture et en sculpture alors si je suis ici à te laisser un message ce n’est sans doute pas un hasard et que sans doute je devrais en être capable !
Céline Dulac
Merci Isabelle, c’est très gentil. Je suis persuadée que tu en es capable, il y a qu’à voir comme tu es toi-même créative ! D’ailleurs j’en profite pour donner le lien vers ton site aux autres lecteurs : isabellebarrandon.fr
N’est-ce pas qu’elle est bourrée de talents ? 😉
Marie-Cécile
Merci beaucoup Céline pour cet article sur un sujet fondamental ! Moi aussi je n’ai pas compris cette phrase : »maintenant oublie tout et joue ». Effectivement, le lâcher n’est pas effondrement, avachissement ni oubli. D’ailleurs oublier quelque chose qu’on a bien et beaucoup travaillé est-ce possible ?
Peut-être est-ce plus faire confiance à ce travail et à nos capacité. Que le résultat ne nous appartient pas finalement.
Pour moi c’est une histoire d’équilibre. Et donc c’est ténu à sentir, à intégrer. Un fois on sera trop dans le relâchement, et d’autres trop dans le volontarisme. Le tout est de chercher le juste milieu en multipliant les occasions de jouer en public.
ET se faire plaisir oui ! Car comment des êtres humains peuvent-il être touché par quelqu’un qui s’ennuie, est terrorisé ou en souffrance…
Loic
Cet article tombe vraiment à pic!
Lorsque je veux créer de la musique, j’ai (trèèès) souvent tendance à vouloir tout contrôler.
Mais, quand j’y pense, les mélodies qui m’ont le plus marqué (et sont restés) sont souvent ceux qui sont venus spontanément. Qui plus est, ne respectaient pas spécialement les « règles »
Pour répondre à ta question, j’utilise pour ma part la méditation et les étirements pour me relaxer et me vider la tête.
En tout cas, c’est un sujet intéressant!
Céline Dulac
Connaître les règles de composition, pour mieux s’en détacher ou les transgresser, le quotidien du compositeur ! Merci Loic pour ces conseils et bonne continuation