Aucun apprentissage n’est possible sans enthousiasme, c’est en quelques mots ce que j’ai envie de partager avec vous aujourd’hui, suite à la conférence d’André Stern que j’ai eu le plaisir d’écouter lors du dernier Festival pour l’Ecole de la Vie. En d’autres termes, faire confiance aux enfants, qui sont équipés du meilleur outil d’apprentissage qui soit : le jeu, et de ce qui permet de rien oublier de nos apprentissages : l’enthousiasme. Bien loin de l’idée qu’il faudrait en baver pour apprendre quelque chose, André Stern nous convie à revisiter nos idées préconçues, à nous débarrasser des croyances négatives (telles que « la musique et moi, ça fait deux »), qui ont la peau dure, et à laisser s’épanouir le génie qui est en nous ou en notre enfant, mais pas toujours là où on l’attend. J’y vois aussi une invitation pour nous, parents ou professeurs, à revoir notre relation avec l’apprentissage de la musique. A-t-on nous-même souffert dans notre éducation musicale ? Dans quelle mesure cette souffrance conditionne le regard que nous portons aujourd’hui sur notre parcours musical et celui de nos enfants ?
Voici quelques extraits de cette conférence et croyez bien que j’ai dû dire adieux à quelques-uns de mes cheveux pour ne garder « que » 20 minutes de conférence, tant André Stern est un orateur captivant et tant ce qu’il a à nous dire peut faire du bien :
Si vous souhaitez visionner la vidéo complète de la conférence, c’est possible depuis le site internet du Festival pour l’Ecole de la Vie.
Je vous invite également à lire les ouvrages d’André Stern (cliquez sur les couvertures ou titres pour en savoir plus) :
…et je ne suis jamais allé à l’école | Semeurs d’enthousiasme | Jouer – faisons confiance à nos enfants |
Voici également la transcription de la vidéo :
Comment l’enfant en arrive à penser de lui-même ce que les autres pensent de lui… et comment le laisser devenir lui-même
André Stern : « Cette nécessité de devenir… On va nous obséder avec cette idée de « devoir devenir », on va nous obséder à un tel point que jusqu’à aujourd’hui, on est absolument obsédé par la nécessité de devenir, parce qu’on n’arrête pas de nous dire « ça serait quand même mieux si tu ne faisais pas ceci, ou tu faisais cela, etc. ». On n’arrête pas de nous dire que on serait mieux si on changeait, si on « devenait ». Et cette nécessité de devenir pour nos enfants, ça les met dans un état de panique, parce qu’il s’avère que lorsqu’on est tellement obsédé par la nécessité de devenir, on n’a plus le temps d’être. Or nos enfants c’est ce qu’ils voudraient : être. Sans nécessité de devenir, de devoir changer, de devoir dormir plus ou faire ceci ou faire cela. Et cet enfant blessé, nous le portons tous en nous et pourquoi ? Parce que l’enfant ne fait pas la différence entre la personne et l’opinion, entre lui et l’opinion qu’on a de lui. Et ça le laisse expliquer aussi facilement, c’est pas difficile : l’enfant, lui, il a parfaitement conscience de l’infini de ses potentiels. Il sait qu’il peut tout devenir et tout apprendre. D’ailleurs écoutez les enfants faire la liste de ce qu’ils ont l’intention de devenir. Vous allez croire que c’est naïf. Non, pas du tout, c’est la véracité de leur ressenti par rapport à leur capacité de tout devenir et à tout apprendre. Le problème, c’est qu’on devient comme on nous voit. Nos enfants deviennent comme nous les voyons. C’est soit une catastrophe, soit une grande chance. Les yeux qu’on a posés sur nous lorsque nous étions enfant, définissent aujourd’hui encore de quels yeux nous nous voyons nous-mêmes aujourd’hui. L’enfant a parfaitement conscience, je disais, de son infini potentiel : 100 %, et de l’autre côté, il y a l’opinion du monde qui lui dit : zéro. « Encore zéro, mais si tu te donnes du mal, ça va évoluer, hein. » Mais ça [il écarte les deux bras à l’opposé l’un de l’autre], la discrépance, l’arrachement, le déchirement entre les deux opinions est une énorme souffrance pour l’enfant, parce que ça le déchire. Alors il faut qu’il trouve une solution, il faut qu’il puisse rétablir l’équilibre entre les deux opinions, la sienne et celle des autres. Alors il va devoir changer, changer quelque chose. Comme il ne peut pas modifier l’opinion des autres, il va s’attaquer à la seule chose qu’il peut modifier, c’est-à-dire sa propre opinion de lui-même. Et c’est ainsi qu’on commence tous très tôt à modifier notre opinion de nous-même, et à la ramener au point d’équilibre par rapport à l’opinion des autres. C’est ainsi que nous commençons à penser de nous-même ce que les autres pensent de nous. Et c’est ainsi que certains parmi nous vont se mettre à penser : « je suis nul en math », ou « j’ai jamais compris ci, ou jamais compris ça », ou « je ne suis pas fait pour parler en public », ou « la musique et moi, ça fait deux » et toutes ces choses-là que plein d’entre nous portent en eux comme autant de petits cadavres et de petits échecs. « Tu n’es pas fait pour ça ». Tout ça, c’est pas vrai ! Ça, c’est le regard des autres, qui est devenu notre propre regard. Et comme si tout cela ne suffisait pas et n’était pas assez dramatique, il s’avère que ce regard posé sur nous, qui a défini comment nous nous voyons encore aujourd’hui, et bien ce regard définit également de quel regard nous regardons aujourd’hui, quel regard nous posons aujourd’hui sur nos enfants. Ça c’est une catastrophe. Il faut qu’on en aie conscience. Et c’est de ça, de cet enfant, que je voulais parler, parce que cet enfant blessé en chacun de nous, cet enfant blessé sur la terre, il ne voulait en réalité entendre qu’une chose, qu’une seule chose : « je t’aime parce que tu es comme tu es ». Plus exactement : « c’est parce que tu es comme tu es, que je t’aime ». C’est ça, qu’il voulait entendre, l’enfant en nous.
Le jeu : le meilleur outil d’apprentissage qui soit et nous sommes tous équipés
André Stern : Cette motion de censure envers l’enfance, elle atterrit finalement dans notre escarcelle, puisque ça veut dire : « je ne fais pas confiance à l’enfant », et comme on a tous cet enfant blessé en nous, et comme on a tous été un enfant et qu’on l’est encore, « je ne fais pas confiance à moi » et « je ne fais pas confiance à mon propre désir de jouer. On essaie toujours de le cacher, de le dissimuler : « je suis en train d’installer le train électrique de mon fils ». On est toujours en train de le justifier. « Un jeu d’enfant », c’est rarement considéré comme un compliment. On peut interrompre un jeu d’enfant à volonté, on en reparlera encore. Alors que la neurobiologie – j’ai l’extrême chance de travailler avec de nombreux scientifiques, on sera amenés à en parler tout à l’heure – la neurobiologie dont je parlais tout à l’heure, et bien avant que ce soit tellement à la mode, depuis peu, la neurobiologie nous dit que justement le jeu est l’outil d’apprentissage par excellence, il n’en a jamais été inventé de meilleur. Et on en est tous équipés en série, imaginez ! On est tous venus au monde équipés du meilleur dispositif d’apprentissage qui aie jamais été inventé : le jeu. Et de plus on est équipés d’un irrésistible penchant pour cet outil, pour le jeu. Voilà qui est un bel appel à la confiance, je trouve. On est tous équipés en série, et pourtant non. Pourtant non, le jeu est déchu, déconsidéré. Pour l’enfant et pour des raisons que vous comprendrez, vu qu’il n’y a pas d’outil d’apprentissage meilleur pour l’enfant, jouer et apprendre sont des synonymes. L’enfant ne peut absolument pas distinguer les deux notions, et pour cause, on ne peut pas les distinguer, pour plein d’autres raisons, que la neurobiologie explique également et dont je vous parlerai tout à l’heure. Il faut juste qu’on imagine ce qui se passe dans le cœur et la tête d’un enfant auquel un matin, une personne de référence primaire, donc en général les parents, dit « il va falloir que tu arrêtes de jouer pour te mettre à apprendre ». Alors c’est un peu comme si je te demandais de respirer sans prendre d’air. Alors je vois ton rire, oui je sais ce qu’il veut dire, je t’en remercie d’ailleurs, mais simplement, ce que tu es en train de penser de moi, qui te fais cette demande ridicule, aucun enfant ne le pense d’un adulte. Et ça c’est terrible : aucun enfant ne remet en question l’adulte. Aucun enfant ne met en doute l’adulte. Aucun enfant ne pense que c’est l’adulte qui a un problème, ils ne sont pas programmé pour ça. Dès qu’il se retrouve dans une situation telle que celle-ci, l’enfant automatiquement pense que celui qui a un problème, c’est lui. C’est lui qui a un problème, et ça c’est une blessure, parce que ça veut dire « tu as un problème, ma grande. Autrement dit, telle que tu es, ça ne va pas. Il va falloir que tu changes, il va falloir que tu sépares ces deux notions que tu n’arrives pas à séparer et il va falloir que tu arrêtes de jouer, que tu te mettes à apprendre. » Parce qu’on a séparé les deux choses : jouer, ce n’est pas du tout sérieux, tandis qu’apprendre, c’est très très sérieux. Si apprendre devient ludique, c’est suspect, vous avez remarqué ? Et donc c’est une blessure, c’est une blessure de plus, parce que tel que je viens de le dire, ce n’est pas très agréable, c’est comme ça que le ressentent nos enfants. C’est une blessure de plus. C’est d’autant plus une blessure que nous interrompons le jeu de nos enfants sans jamais hésiter puisque « ce n’est jamais qu’un jeu d’enfant, on peut l’interrompre ». Pour l’enfant, ça aussi c’est une blessure de plus. Oui, parce que les enfants ne savent pas distinguer entre eux et leur jeu : ils sont leur jeu. C’est ce qu’il leur confère d’ailleurs cette incroyable liberté qui est la leur. Parce que nous pour voler, il n’y a plus que nos rêves qui nous en donnent la possibilité. Mais nos enfants, ils volent à chaque fois qu’ils le souhaitent dans leur jeu. Et ils sont à la fois l’avion, l’air, le steward, les oiseaux, le capitaine… Il sont tout ça à la fois. C’est une extrême haute liberté qu’ils ont dans leur jeu et donc ils sont leur jeu. Et si j’interromps ton jeu en te disant « ton jeu n’a pas d’importance », comme tu es ton jeu, c’est toi qui n’as aucune importance. C’est une blessure de plus. Ça veut encore une fois dire : « à mes yeux, tu n’as pas la même valeur que d’autres ». Ça s’appelle l’âgisme. Et c’est une blessure. Et c’est avec cette blessure que nos enfants se promènent.
Enthousiasme et plasticité cérébrale
André Stern : Alors, pendant des années, on nous a dit que nos cerveaux étaient programmés par nos gènes, que notre génétique programmait, décidait, câblait notre cerveau, donc décidait de notre intelligence. Alors ça c’était très très pratique, parce que ça créait deux catégorie : ceux qui sont nés intelligents, et ceux qui sont nés idiots. Et on appartient à l’une ou à l’autre des catégories et on y est resté fidèle toute sa vie, puisque « qui dit génétique dit gravé dans le marbre ». On n’avait pas encore découvert l’épigénétique, donc on pensait la génétique immuable. On a créé tout un ordre du monde qui repose sur cette idée qu’il y a des gens bêtes et qu’il y a des gens intelligents, qu’il y en a qui ont de bonnes notes, qu’il y en a qui en ont de mauvaises : « ben oui, lui il est intelligent, lui il est bête, t’as vu sa mère ? » Il s’avère qu’il y a eu une découverte assez récente, mais quand même assez ancienne pour qu’à l’époque, les téléphones portables aient encore des touches : on a découvert que la région du cerveau qui est en charge des mouvements du pouce est considérablement plus développée chez les jeunes de nos jours. Et oui oui, ça repose sur l’utilisation intensive du SMS. Et donc, bien sûr un britannique – vous avez toujours remarqué que c’est des scientifiques britanniques qui découvrent les choses ? Ça va vous frapper à partir de maintenant – donc un scientifique britannique a analysé ces données et a dit « mais bon sang de bonsoir ! Si le cerveau s’est développé selon l’usage qu’on en a fait, c’est qu’il n’est pas programmé génétiquement, mais qu’il est susceptible d’évoluer suivant l’usage, un peu à la manière d’un muscle ». Donc le cerveau serait un organe comme les autres. Il se développe suivant l’usage qu’on en fait. Voilà qui remettait bien des choses en questions, et bien des choses à plat. Alors ayant remarqué que c’était le cas, que le cerveau, tel un muscle, s’était développé là où on l’avait sollicité, il y a des gens – alors à l’époque les neurobiologistes et les pédagogues travaillaient ensemble – ils se sont dits – d’ailleurs il y a eu un reportage récemment là-dessus – bon alors on va travailler dans ce sens-là : « puisque le cerveau est comme un muscle, on va faire un programme de musculation pour le cerveau, musculation cérébrale et on aura tous de gros gros cerveaux », donc ils ont développé de la stimulation précoce – certains d’entre vous ont dû passer par-là ou l’a pratiqué – donc c’est 5 langues à l’école maternelle, sudoku au petit-déjeuner, du chinois dans le ventre de la maman par l’intermédiaire de haut-parleurs – vous riez mais ça a tout été fait – avec des résultats assez spectaculaires, puisque nuls ! Aucun résultat ! Au grand désespoirs de ceux qui avaient développé ces programmes de musculation cérébrale : « puisque ça marche tellement bien pour les SMS, pourquoi ça marche pas du tout pour l’apprentissage des mathématiques ? » Il manquait un élément de la découverte que certains d’entre vous connaissent déjà, mais le voilà : il s’avère que notre cerveau, certes se développe là où nous l’utilisons, mais uniquement lorsque nous l’utilisons avec enthousiasme. Et voilà la clé des choses, voilà la notion du 21ème siècle. Et là aussi c’est encore extraordinaire que la science nous apporte la preuve d’une chose que l’on savait tous : on savait tous que notre enthousiasme nous donne des ailes, nous rend capable de tout. Nous savions tous qu’en état d’enthousiasme, nous sommes à proprement parler géniaux. Ça on le savait, mais maintenant la neurobiologie nous montre ce qui se passe : au bout de longs filaments sont secrétés des cocktails de neurotransmetteurs neuroplastiques qui agissent sur le cerveau comme de l’engrais. C’est le mot de la neurobiologie : de l’engrais. L’enthousiasme, c’est l’engrais du cerveau. D’ailleurs nos enfants, les petits, éprouvent une tempête d’enthousiasme toutes les deux à trois minutes. Et qui vit avec des enfants ou observe – et chacun d’entre vous est dans cette position – on a remarqué qu’un enfant s’enthousiasme toutes les 2 à 3 minutes et ce pour tout. Pourquoi pour tout ? Parce qu’ils ne connaissent pas de hiérarchie entre les métiers et entre les matières. Si je te demande de mettre tricot et mathématiques sur un pied d’égalité, je ne suis pas sûr que tu sois d’accord. Mais c’est comme ça que nos enfants le voient. Ils n’ont pas de raison de s’enthousiasmer d’avantage pour le métier de l’astronaute que pour le métier du laveur de carreaux. Et comme ils n’ont pas de raison de s’enthousiasmer pour l’un puisque pour l’autre, ils s’enthousiasment pour l’un et pour l’autre de la même manière, et c’est pour ça que nos enfants vivent une tempête d’enthousiasme toutes les 2 à 3 minutes. C’est intéressant parce que ça veut dire que non seulement on est tous venus au monde équipés de l’engrais cérébral, du meilleur outil d’apprentissage qui soit, de notre désir de l’utiliser, d’une portion d’engrais cérébral portable, mais en plus que le cerveau de nos enfants baigne littéralement du matin au soir dans un bain d’engrais cérébral portable. Voilà quand même une belle manière de commencer sa vie. Donc voilà, une tempête d’enthousiasme toutes les 2 à 3 minutes dans le cerveau d’un enfant. Et vous voulez probablement savoir ce que les statistiques disent sur la fréquence à laquelle un adulte, sous nos latitudes, éprouve la même quantité d’enthousiasme qu’un enfant de deux à trois ans éprouve toutes les 2 à 3 minutes. Vous voulez vraiment le savoir ? Alors c’est 2 à 3 fois par an ! En moyenne mondiale. Alors toi, quand je te vois, j’ai l’impression que tu exploses littéralement la moyenne. Donc on va dire que tu t’enthousiasmes 9 fois par ans. Je ne sais pas si tu sais ce que ça signifie, ça signifie que tu as piqué la part de deux autres, statistiquement, donc deux autres qui, pendant que toi tu t’enthousiasmes neuf fois par an, ne peuvent pas s’enthousiasmer du tout, ça explique beaucoup des problèmes de ce monde, c’est tout de ta faute ! Ceci dit, je tiens à te rassurer, mais pas vraiment parce que je vois que tu n’es pas inquiète, mais c’est surtout nous tous que je voudrais rassurer : l’enthousiasme est la seule ressource inépuisable sur cette terre. Plus on en fait usage, plus il y en a !
Pas d’apprentissage à long terme sans émotion
André Stern : Nous ne pouvons retenir une information que si elle a activé nos centres émotionnels. Sinon nous l’oublions dans la foulée. Si une chose ne nous touche pas, elle entre pas une oreille, elle ressort par l’autre, ce qui explique d’ailleurs que la plupart d’entre nous a oublié 80 % des choses qu’il avait apprises, ou dû apprendre, et que tout le monde trouve ça normal ! Et les 20 % qui restent, c’est toujours et sans exception, les choses qui pour une raison ou une autre vous avaient touchées.
S’enthousiasmer pour révéler le génie qui est en soi, quels que soient les a priori de la société
André Stern : Ça veut dire qu’il y a dans chaque enfant un génie potentiel qui n’attend qu’une chose – et comprenez bien le mot « génie » : il y a de la génialité dans chaque enfant – qui n’attend qu’une chose, c’est son enthousiasme, état natif. C’est comme la méditation, on n’est pas en train de vouloir atteindre un état, on est juste en train de le débarrasser des scories pour retrouver cet état. Il y a un génie dans chaque enfant qui attend son enthousiasme et comme il y a un génie dans chaque enfant, il y a un génie en chacun d’entre nous qui n’attend qu’une chose, c’est notre enthousiasme. Seulement voilà, pour nous enthousiasmer avec la même véracité, avec la même authenticité, avec la même force qu’un enfant de 2 à 3 ans, il va falloir que nous nous débarrassions de pas mal de choses. Par exemple des susnommées hiérarchies entre les métiers et les matières, parce que sinon, si ça se trouve, ce qui t’enthousiasme toi, et qui te rendrait génial, si ça se trouve, c’est pas reconnu par la société. Alors du coup tu n’oses même pas te l’avouer à toi même que ce qui te rendrait génial, t’enthousiasme, et du coup tu y renonces au profit de ce que la société a reconnu comme étant digne, peut-être pas d’enthousiasme, du moins d’intérêt. Et là c’est un gros problème, parce que ça nous prive de notre génialité. Alors si on arrivait à se débarrasser de toutes ces hiérarchies, on pourrait peut-être retrouver notre capacité à l’enthousiasme.
Revoir son positionnement vis-à-vis de l’enfant et lui permettre de ne pas se sentir exclu du groupe auquel il souhaite appartenir
André Stern :C’est ainsi qu’on se débarrasse de notre ironie face à l’enfant. Je ne vois pas si vous voyez précisément de laquelle je veux parler. Là aussi je vais faire rapide, mais notre ironie face à l’enfance. J’avais 23 ans quand j’ai rencontré l’homme qui allait devenir l’homme de ma vie, qui allait devenir mon maître-luthier. On ne le savais pas encore ni lui ni moi, à cette époque-là. J’avais 23 ans et il m’a accueilli avec une phrase qui n’est pas – on pourrait y consacrer l’atelier de tout à l’heure – mais il m’a dit « je peux tout te montrer, mais je ne peux rien t’apprendre ». C’est un excellent résumé de beaucoup de choses, mais après m’avoir dit ça, il m’a donné deux planchettes d’épicéa, le bois de lutherie qui est extrêmement précieux, parce qu’il a été non pas scié mais fendu, il a séché 40 ans au soleil, au gramme ça vaut le prix de l’or, en bref. Il me donne deux planchettes. Et au moment où il m’a donné ces deux planchettes, il ne m’a pas dit [voix infantilisante] « Oh ! Tu c’est ce que c’est ? C’est du bois. Oui, c’est bien de savoir ce que c’est. Toi aussi tu savais que c’est du bois. Et toi, est-ce que tu peux me dire d’où vient le bois ? Hein il vient d’où le bois ? Il vient de… l’arbre, oui ! C’est bien ! Toi aussi tu savais que le bois vient de l’arbre ? Est-ce que tu peux me dire où l’arbre habite ? Il habite dans la… ? Dans la forêt, avec les autres arbres, voilà ! Oh c’est bien, tu le savais ! Toi aussi tu le savais que l’arbre habite dans la forêt ? C’est bien ! Alors dans ce cas-là, si vous le savez tous, j’ai une bonne idée : on va aller tous ensemble dans la forêt enchantée, on va trouver un arbre magique et avec l’arbre magique on va faire une super guitare. D’accord vous venez tous, hein ? » Il m’aurait parlé comme ça, j’avais 23 ans et bien j’aurais cru qu’« il me prend pour un débile ! ». Seulement j’ai une question à cet endroit-là. Pourquoi est-ce que nos enfant seraient-ils sensés supporter quelque chose que pour nous nous ne supportons pas. Parce que c’est mignon ? Qui a dit que c’est mignon, là ? Nan parce qu’il y en plein qui vont dire que c’est mignon. Alors il y en a qui vont dire surtout : « on lui facile l’accès à langue, parce que c’est compliqué la langue. Donc loin de lui faciliter, on le lui complique extrêmement, parce que c’est pas les mêmes mots, c’est pas les mêmes sons, il peut pas savoir que « tu sais pas où elle est la sucette du petit ? [voix infantilisante] ah tiens, voilà ta tototte », il ne peut pas savoir que ça veut dire la même chose. Donc ça double quantité de travail. Mais surtout, ceux qui prétendent que c’est mignon, ce n’est pas mignon du tout, parce qu’il s’avère que la pire souffrance pour nous autres les humains, c’est quand on nous exclut du groupe auquel nous avons envie d’appartenir. Si je t’arrache un ongle, ça va te faire super mal, si je t’exclus d’un groupe auquel tu as envie d’appartenir, ça va te faire encore plus mal. On voit les mêmes réseaux neuronaux s’enflammer fortement. Donc le groupe auquel les enfants ont envie d’appartenir, c’est nous ! Ils ont envie d’être comme nous, avec nous. Quand on leur parle comme ça alors qu’ils ont très bien vu qu’entre nous nous ne parlons pas comme ça, on leur donne le signal tout simple : [voix infantilisante] « tu fais pas encore partie des gens qui méritent que je leur parle normalement. »
L’urgence d’être des exemples d’épanouissement pour nos enfants
Je voudrais nous rappeler une chose : nous voulons tous des enfants qui un jour seront des adultes heureux. Nous voulons tous qu’un jour nos enfants soient des adultes heureux. Et nous le voulons tellement que nous en oublions une chose capitale : c’est de vivre sous leurs yeux aujourd’hui ce que sont les adultes heureux, parce que, que nous le voulions ou non, nous sommes pour les enfants de ce monde, les nôtres et ceux des autres, nous sommes pour les enfants de ce monde des modèles, des exemples. Nous voyons en eux notre passé, l’enfant que nous avons été ou que nous aurions pu être. Ils voient en nous leur futur, l’adulte qu’ils seront un jour. C’est une invitation à n’être jamais assez prudent dans le choix de ce que nous vivons devant les yeux ouverts de nos enfants. Parce que je vous rappelle qu’ils deviennent comme nous les voyons. C’est à la fois une chance ou une catastrophe. Ils deviennent aussi comme ils nous voient. Nous sommes des exemples pour les enfants de ce monde. Et vous savez ce que c’est un exemple, pour résumer, pour finir ? À mes yeux, pour moi, l’exemple, c’est mon papa. Pour moi, mon exemple, c’est mon papai. Mais j’ai pas du tout envie d’être mon papa. Il est tellement lui, qu’il me donne envie d’être autant moi que lui est lui. Et c’est comme ça que les enfants regardent les personnes qui les inspirent. Et les personnes qui les inspirent, c’est nous. Si je vous raconte toutes ces histoires banales, c’est parce que quand on regarde ces histoires banales, il s’avère que c’est une invitation faite à chacun chacune d’entre vous de traverser le miroir et de venir de ce côté du miroir, où nous cessons avec la motion de censure envers l’enfant, nous venons du côté du miroir de la confiance en l’enfant, donc en nous-même. Et chaque seconde que nous passons de ce côté du miroir est une bénédiction pour l’enfant, est une bénédiction pour l’enfance. Et vous l’aurez remarqué, c’est pas une méthode, c’est une attitude, cette attitude que j’appelle l’écologie de l’enfance. C’est une attitude, il n’y a pas de bon endroit, il n’y a pas d’endroit particulièrement propice à cette attitude. C’est venir du côté du miroir où l’on fait confiance à l’enfant. Et c’était mon invitation ce soir. Je vous remercie d’être venus parfois de ce côté du miroir, en souhaitant que vous ayez envie peut-être, parmi vous certains, de rester un peu plus longtemps de ce côté du miroir. Car il n’y aura pas de paix sur terre tant que nous ne serons pas en paix avec l’enfance. Je vous souhaite beaucoup de confiance et beaucoup d’enthousiasme. »
iArno Stern, pédagogue et créateur du Jeu de peindre
Passionnée de pédagogie musicale, je partage avec vous dans ce blog mes connaissances et expériences acquises au cours de mes activités de professeur de flûte, directrice d’école de musique, musicothérapeute et maman de deux loustics musiciens.
Violaine
Rho merci Céline pour ce beau résumé, ça me rappelle de beaux souvenirs ! A mon tour d’écrire mon article sur André Stern et son livre Jouer… Bravo pour ce bel article.
Céline Dulac
Go Violaine, go ! 😉 Et mille mercis à toi pour la prise de vue (et les fous rires quand la caméra tombe, ou autre événement imprévisible)
Eva
Bonjour et merci d’avoir pris le temps de retranscrire cette conférence : lire en même temps qu’écouter m’a permis de m’imprégner d’autant plus des paroles d’André. Très parlantes. Merci encore !
Céline Dulac
Merci Eva. Je suis contente de savoir que je n’ai pas fait la transcription pour rien !